L'imposture taromantique - Chapitre deux

L'imposture taromantique (Chapitre II)


Le déclin du Tarot de Marseille dans l'occultisme est-il irréversible ? 
 

Version bêta du livret à paraître, donnée à éditer, à titre exceptionnel et gracieux, à L'Officiel de la Voyance.
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Les différents jeux

I. Les Tarots de Marseille
 

Nous avons vu que la structure du jeu de tarot présentait des modèles variables au cours de l'histoire. Ainsi le tarot de Venise à 78 cartes qui se répandra auprès des joueurs après 1500 ; le tarot de Bologne à 62 cartes ; le tarot de Florence à 97 cartes ou « minchiate ».

Nous allons ici nous intéresser en particulier aux versions du canon marseillais les plus connues.

  • Noblet (Paris - circa 1650)
  • Dodal (Lyon - circa 1701)
  • Conver (Marseille - 1761)
  • Marteau (Marseille - 1930)

Nous mettrons en évidence le fait que bien que ce canon soit défini dans sa forme, il n'en de­meu­re pas moins des nuances intéressantes à étudier pour qui veut s'imprégner de son es­prit. Comparer ces différents jeux entre eux se révèle être un exercice fort instructif. Une fois de plus, vous verrez que rien dans ce domaine ne peut être systématisé.

Le Tarot de Marseille de Jean Noblet (Paris - circa 1650)

La liste suivante, non exhaustive, recense un certain nombre de spécificités du Tarot de Jean Noblet, n'apparaissant pas sur le Tarot de Paul Marteau (1930) qui constitue la référence commerciale actuelle.

Le Noblet comporte certainement lui aussi quelques imperfections, mais n'est-ce pas ce qui marque l'art sacré ? Ce travail de comparaison permettra de mettre en lumière la manière dont la tradition a pu se perdre lors de copiages successifs des maîtres-cartiers entre eux. Peut-être que ce tarot n'est pas le premier jeu conforme au canon marseillais, mais une chose est cer­taine, nous n'en connaissons pas de plus ancien.

Le format des cartes (92 x 55 mm). Ce format atypique, conçu pour les poches des joueurs de bistrots, en fait le plus petit jeu de tarot connu. Rappelons que sans les joueurs, amateurs de jeux d'argent, le tarot n'aurait pas survécu. Les personnages humains ont le visage et les mains de couleur blanche, à l'exception de LE FOV et du squelette de LAMORT qui ont le visage couleur chair. Les mains personnifient les domai­nes d'action de l'individu. La main droite gouverne la sphère sociale et culturelle. La main gau­che opère dans celle du cœur et de la vision.

LEMPEREVR nous montre son profil droit et regarde vers l'avenir.

LAMORT se dirige vers la gauche, le passé.

Habituellement, LEMPEREVR regarde vers le passé, et LAMORT vers l'avenir. Ces deux inversions changent considérablement le message des cartes. Il ne s'agit pas ici de vétilles. Nous pouvons nous demander pourquoi, par la suite, la majorité des autres maîtres-cartiers modifieront ces deux cartes. Cela portera atteinte au sens global de la série des atouts. L'ange de šLAMOVREVXš a les yeux bandés.

Les chevaux du LE CHARIOT sont de couleur différente, détail inhabituel dans les Tarots anciens, plus fréquent par la suite. Par contre, Noblet amplifie encore cette notion de dualité qui carac­térise la vie humaine, avec les roues du LE CHARIOT, elles aussi de couleur différente. Le sol est noir. IVSTICE chez Noblet évoluera par la suite dans d'autres jeux en "La Justice" avec article.

FORCE chez Noblet subira une transformation identique et deviendra plus tard "La Force" avec article. Voilà encore deux transformations dominantes. L'absence d'article implique que ces deux personnages incarnent, en fait, deux vertus. L'ajout d'un article contribue à personnifier les personnages.

Le cartouche inférieur des cartes, emplacement réservé au nom, attire notre attention à plu­sieurs reprises. C'est ainsi que :

LE FOV se transformera en "Le Mat", dès Nicolas Conver en 1760.

LERMITE ne s'écrit pas "L'Hermite". Le H ajouté par la suite (visant à le faire passer pour un initié aux Sciences Hermétiques) témoignera, lui aussi, d'une perte de compréhension du sens in­té­rieur du Tarot. Nous l'avons vu, dès Nicolas Conver, le tarot s'intellectualise aux dépens d'une per­cep­tion authentique des cartes. Cela témoigne d'une rupture dans la transmission de la tra­di­tion qui devient partielle ou/et mal comprise.

L'atout XIII, appelé depuis le 18e siècle "l'arcane sans nom", se nomme bien ici "LAMORT". Noblet n'a pas craint de la nommer. Au XVIIIe siècle, nommer la mort, c'était la faire venir (nommer, c'est créer) d'où l'abandon du nom de cette carte... Ce comportement psycho-magique n'avait pas lieu au siècle précédent.

Cette métamorphose interdit le rapprochement habituel entre LE FOV (arcane sans nombre) et XIII (arcane sans nom). On peut parler de bouleversement !

Les personnages sont très sexualisés : en particulier LE FOV, LL BATELEVR, LEšPENDVš, LEDIABLE et ses deux sujets.

LALVNE montre son visage de face, détail qui sera repris par Dodal (1701) et perdu par la suite.

Le personnage central de LEIVGEMENT est de couleur chair, comme les deux autres ; ce détail est rare pour l'époque mais sera repris ensuite.

Les flammes qui sortent de LA MAISONšDIEV sont ascendantes. Les tarots modernes détour­ne­ront le sens de cette carte en lui donnant un sens chaotique. La tour est bleu ciel.

LE FOV s'appuie sur un bâton jaune humanisé par un pommeau à visage. L'animal qui l'accompagne est une civette. De nombreuses subtilités chromatiques insistent sur la dualité de l'existence humaine, y compris de manière très spécifique. Les jambes des personnages sont parfois atypiques : LEMPEREVR a la jambe gauche de couleur rouge, et la jambe droite de couleur bleu foncé.

LEšPENDVš également, mais de manière inversée par rapport à LEMPEREVR. Quelle exac­ti­tu­de ! Noblet insiste ici sur la notion de monde à l'envers qui caractérise LEšPENDVš. Sur cette lame de LEšPENDVš, les deux troncs qui servent de potence, habituellement jaunes, sont ici de cou­leurs différentes. Ils n'ont que cinq branches chacun, ce qui ne permet plus d'établir une ana­logie avec le zodiaque. La chevelure de LEšPENDVš est couleur chair ; d'ordinaire elle est jaune ou bleue. Dans LESOLEIL, le personnage de gauche est lui aussi doté de deux jambes de couleurs diffé­ren­tes. Celle de gauche est chair, celle de droite bleu ciel.

Dans LEDIABLE, même phénomène, les sujets ont les jambes de couleurs différentes.

Dans LEMONDE, le personnage central lévite dans la mandorle et présente une jambe jaune. Il n'a pas l'écharpe habituelle qui lui cache le sexe ; ici, c'est un feuillage qui remplit cette fonction. L'aigle est blanc. Le personnage central tient un sceptre surmonté d'une croix dans la main gauche. Cette carte, vraiment atypique, suscitera de nombreux questionnements chez l'observateur. Les mains des personnages sont souvent de grande taille (l'une ou l'autre) et asymétriques. Le nombre de doigts est également signifiant.

Dans LESOLEIL, le muret de briques est multicolore. Les cartouches inférieurs des cartes méri­tent quelques commentaires. Vous les trouverez de nouveau ci-dessous pour vous faciliter la compréhension du développement suivant. I LL BATELEVR ; II LA PAPESSE ; III L EMPERATRISE ; IIII LEMPEREVR ; V LE PAPE ; VI LAMOVREVX ; VII LE CHARIOT ; VIII IVSTICE ; VIIII LERMITE ; X LA ROVE DE FORTVNE ; XI FORCE ; XII LE PENDV ; XIII LAMORT ; XIIII LEMPERANCE ; XV LEDIABLE ; XVI LA MAISONšDIEV ; XVII LESTOILLE ; XVIII LALVNE ; XVIIII LESOLEIL ; XX LEIVGEMENT ; XXI LEMONDE et LE FOV.

Vous constaterez que les noms des cartes et leur ordonnancement étaient déjà fixés en 1650, au même titre que le graphisme, définissant ainsi le canon marseillais. Toutefois, ces noms pré­sen­tent quelques signes spécifiques. Le lecteur pourrait penser que ces cartouches affichent des erreurs, sachant que les orthographes n'ont été stabilisées qu'après 1750, lorsque Malesherbes était Directeur de la Librairie. Il ne s'agit pas seulement de cela. Noblet était sans aucun dou­te un maître, et il le montre clairement à deux reprises dans sa manière de nommer les cartes.

Pour commencer, l'article « LE » de LL BATELEVR annonce clairement la couleur avec deux équerres. (cf. Dictionnaire des Symboles).

LEšPAPE, lui, possède le même article tel que nous le connaissons. Son orthographe était donc bien connue de Noblet.

Plus loin dans la série des atouts, šLEMPERANCEš affiche de nouveau une équerre. Le corps de l'ange est clairement disproportionné si l'on tient compte de sa petite tête. Chacun pourra élaborer ou non une hypothèse pour expliquer cet aspect du graphisme de cette carte. L'observation de la série des atouts montre que, d'ordinaire, les rapports tête-corps sont beaucoup plus harmonieux. Nous pouvons donc émettre l'hypothèse qu'un message s'exprime dans cette différence. Le corps devient à ce stade du développement de l'être, l'outil de perception du monde. Ce que Jean-Claude Flornoy appelle « entrer dans percevoir ».

Le Tarot de Marseille de Jean Dodal (Lyon - connu 1701-1715)

Parmi les cartiers du XVIIIe siècle, le graveur du Dodal et du Payen (Jean-Pierre Payen - Avignon - 1713) est probablement le dernier à avoir reçu l'enseignement d'un maître vivant.

Le Tarot de Marseille de Nicolas Conver (Marseille - 1761)

La Tradition commence à se perdre. Bien que la coutume veuille qu'il s'agisse là de l'archétype du Tarot de Marseille, du jeu le plus abouti, force est de reconnaître qu'avec Conver, le savoir com­mence à prendre le pas sur la Connaissance. Les détails non signifiants s'additionnent, et l'essentiel est parfois compromis. Ainsi la flamme de LA MAISON DIEV n'est plus ascendante mais descendante. Le message change radicalement et la carte se colore d'une ambiance chaotique. Néanmoins, ce Tarot de Marseille demeure un très bel exemplaire et son étude ne saurait s'éluder.

Le Tarot de Marseille de Paul Marteau (Marseille - 1930)

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II Les autres tarots

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III Les autres jeux

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